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À la recherche éternelle de la Chouette d'or

Quelque part en France, la statue d'une chouette d'une valeur de 150 000 euros attend depuis vingt ans le coup de pelle salvateur.

Le Point.fr - Publié le 02/08/2013 à 10:04 - Modifié le 02/08/2013 à 15:34

Par NATHALIE LAMOUREUX

"Je reste aujourd'hui encore persuadé que la Chouette se trouve à Dabo. Toutes mes archives (cartes anciennes et récentes, livres, boussole...) sont soigneusement rangées dans une valise à la maison. Tôt ou tard, je me replongerai dans les énigmes." Michel Grandmougin est un chouetteur. Il joue à décrypter les énigmes imaginées par Max Valentin afin de trouver la copie de bronze de la fabuleuse Chouette d'or, enfouie quelque part en France.

"Daboïste", il appartient au groupe de chercheurs qui estiment que Dabo, près de Strasbourg, est un passage obligé de la chasse. Des clans qui pensent que la cache est ailleurs ou nulle part, il y en a une bonne cinquantaine, le cas extrême étant constitué par les "maxophobes", pour qui le jeu n'est qu'une vaste escroquerie. Chaque chouetteur ou presque a une idée arrêtée sur la localisation de la cache. Il y a presque autant de localisations que de chouetteurs. Autant de tendances qui expliquent peut-être pourquoi la sculpture dort encore tranquillement dans son trou. Quand, en mai 1993, le livre Sur la trace de la Chouette d'or fut publié, des dizaines des milliers de personnes se lancèrent dans l'aventure les unes après les autres. Des familles choisissaient leur lieu de vacances en fonction des énigmes. Des couples se sont déchirés. Au fil du temps, la Chouette est devenue un trésor légendaire, "à se demander si celle en bronze n'est pas devenue beaucoup plus mythique que celle qui brille de tous ses ors", relève Philippe D'Euck, coauteur de chasses au trésor avec Max Valentin.

Interprétations multiples

Pourquoi personne n'a-t-il réussi à libérer l'oiseau de sa prison ? Pour Julien Alvarez, fondateur des Éditions du trésor, la raison repose sur une combinaison d'éléments : concepts flous à interprétations multiples, fausses pistes de l'auteur, surinterprétation des "MADITS", abréviation de "Max a dit" qui désigne les réponses de Max Valentin aux questions des chercheurs sur le 3615 code MAXVAL. Une fois les premières phases de décryptage passées, on se retrouve, en effet, face à des noms tels que "la spirale à quatre centres" qui peut être une route en colimaçon, la représentation des arrondissements de Paris, la ville d'Ascq dans le nord de la France (en vertu de la correspondance ASCQ=SAQC = Spirale À Quatre Centres).

Les visuels accompagnant les énigmes ont été dessinés par Michel Becker. Peut-être y a-t-il ajouté ce qu'on appelle la patte de l'artiste. En tout cas, armés de leur loupe grossissante, les chouetteurs y ont vu un tas de petits détails (piéton avec jambe de bois, visage dans le soleil...) qui ont contribué à complexifier la chasse. Par ailleurs, Max Valentin avait truffé son jeu de fausses pistes. Mais ce qu'il n'a pas su anticiper, ce sont les fausses pistes que les chercheurs ont inventées d'eux-mêmes. Pendant les premières années, Max Valentin diffusait par voie de presse des indices avant d'y mettre un terme, considérant qu'il en avait trop dit. La chasse faisait du sur-place. Des chouetteurs s'étaient spécialisés dans l'analyse des "MADITS", spéculant sur le sens caché d'une réponse aussi évidente que "no comment".

On sait où elle ne se trouve pas

Seul Max Valentin connaît l'emplacement exact de la cache. C'est lui qui a mis en terre l'animal dans la nuit du 23 au 24 avril 1993. L'huissier mentionné dans le règlement n'y a pas assisté et ne peut donc le certifier. Même Michel Becker, auteur des visuels qui accompagnent les énigmes, l'ignore. Il reste le seul et unique propriétaire de son oeuvre à la suite d'un arrêt rendu le 15 janvier 2009 par la cour d'appel de Versailles. En 2006, la bestiole en or, argent et diamant s'était retrouvée sous séquestre, la société chargée de la location du coffre-fort ayant fait faillite.

L'argument d'une supercherie montée par un escroc de génie est aussi écarté. Max Valentin, de son vrai nom Régis Hauser, avait organisé de nombreuses autres chasses au trésor, avec des lots parfois supérieurs en valeur (200 000 euros pour le Trésor d'Orval) et qui ont toutes été résolues. Les raisons de cet anonymat étaient d'ordre pratique. Il risquait d'être fréquemment dérangé par des chasseurs curieux d'analyser sa psychologie pour résoudre les énigmes ou d'être pisté. Tant que la pelle d'un chercheur n'aura pas heurté le coffre-fort, le doute est toujours permis.

À défaut de connaître la localisation de la chouette, on sait où elle ne se trouve pas : Le Mont-Saint- Michel, la forêt de Brocéliande, Paris et le château de Versailles. Max Valentin a souhaité apporter ces précisions pour éviter que les gens n'aillent saccager les lieux chargés d'histoire. Mais le mal était fait, comme le révèle cet échange épistolaire titré Lascaux : "Pas de code sous les peintures rupestres..., quels dégâts ! Nous avons pété 6 burins, 2 barres à mine, plus le marteau piqueur, sans compter les doigts écarlates. Bonsoir. Choufleur-masqué." Réponse de Max : "Quand vous vous attaquerez aux fondations du Sacré-Coeur (le bâtiment le plus hideux de Paris), faites-moi signe. Idem si vous décidez de fouiller les caves de la Banque de France. Pour le Louvre, je suppose que j'arrive trop tard ? Amitiés amusées. Max."

Max a avoué que près de la moitié des messages reçus sur le Minitel contenaient les solutions. En mars 2009, il meurt brusquement, laissant derrière lui une communauté de chouetteurs en deuil et le secret non élucidé. Pour Patrick Schmoll, auteur d'une socio-ethnographie, "tous les ingrédients du récit freudien de la horde primitive figurent en filigrane de l'épopée de la Chouette d'or. Un père que son savoir place en position de toute-puissance, mais que la règle du jeu exclut de la chasse ; une recherche qui s'éternise, obligeant les participants à s'organiser et l'émergence de valeurs fraternelles qui sont à l'antithèse de l'enjeu intéressé et solitaire d'une chasse au trésor. À cette tribu, il ne manque même pas le totem, puisque le trésor est constitué par la Chouette qui donne son nom à la communauté." Le jeu n'est pas limité dans le temps et est, en principe, censé continuer tant que la contremarque n'aura pas été trouvée.

À lire :

La Chouette 20 ans après, livre rédigé par un collectif d'auteurs, expert et passionnés, Éditions du trésor, 19,90 euros.

Chasseurs de trésors. Socio-ethnographie d'une communauté virtuelle, Néothèque, 2007.

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