SIGNET FUMAX


SIGNET FUMAX

(1)

Jarod se souvient. La nuit venue, il quitta l'endroit où nous nous trouvons et se mit à errer dans l'obscurité de sa chambre. Puis, craignant de se perdre dans ses pensées, il fit halte et s'endormit, ses rêves hantés par la Chouette. Le lendemain, dès le premier rayon du soleil, il sauta sur ses pieds, prêt à se frotter enfin au secret de Fumax. Il étala sa 989 et jeta un dernier coup d'œil à ses notes sur la contribution 4779 de Farlen. Une sorte de certitude s'ancra en lui: bientôt la Chouette lui appartiendrait. Il ne pouvait en être autrement car Farlen l'avait, sans s'en rendre compte, mis sur la piste.

Le boulanger Cocherosse. C'était évident, maintenant qu'il y repensait. Bien sûr, il avait, comme Patrice, contacté Madame Nature, l'institutrice du village (voir les épisodes 4544 et suivants, notamment l'épisode 4577). Mais ça n'avait rien donné. Et le boulanger, sapristi, ça ne lui était pas venu à l'idée. Sacré Farlen ! S'il avait su que ses élucubrations touchaient à ce point à la Vérité...

Jarod enfourna pelle, pioche, boussole et sandwiches dans le coffre de sa voiture et partit. La route était longue mais les trompettes de la victoire résonnaient à ses oreilles et il ne sentit pas le temps passer. Vers midi, il approcha du village qu'il avait depuis longtemps pointé sur la carte comme étant sa zone. Non! Pas "sa" zone, mais LA zone. Aujourd'hui, il allait déterrer le volatile et prouver enfin que c'était bien la bonne zone qu'il avait découverte il y a quelques mois. Ah! Ah! Ah! Bientôt le monde saurait qu'il détenait le secret de la "lumière qui éteint".

Dans le pinceau de lumière crue de ses phares apparut le panneau indicateur et le nom du village se détacha, masse brutale de signifiance chargée de promesses troubles.

(Une parenthèse, ici, pour ménager le suspense et préciser le contexte. D'accord, on est en plein jour, mais vous ne voudriez pas qu'on balance le nom du village sans ménager un peu l'effet, et les phares de la voiture, c'est quand même le minimum qu'on puisse faire comme spot sur cette scène par ailleurs champêtre et éloignée de toute source d'électricité un peu puissante. D'un autre côté, Jarod ne pouvait pas arriver en pleine nuit, juste pour le plaisir de faire fonctionner ses phares sur le panneau en question, parce que la boulangerie est fermée la nuit).

Jarod contempla le panneau. Il indiquait ".....".

(Nouvelle parenthèse: non, je n'ai pas gommé le nom pour le maintenir secret. C'est comme ça que le village s'appelle : ".....", en fait avec des blancs à la place des points, mais j'ai dû mettre des points parce que le logiciel Edelweb ne transcrit pas les blancs. Et c'est d'ailleurs assez difficile à écrire, comme nom, parce que je ne sais jamais combien de blancs ça prend. Les villageois à qui j'ai demandé de me l'épeler semblaient avoir du mal à articuler).

Jarod repensa à l'assemblage fantastique d'interprétations qui l'avait conduit à une solution aussi lumineusement simple. Simple comme le vide du tao autour duquel tourne la roue du cocher. Sacré Fumax. Les symboles qu'il utilisait étaient des symboles universels, et tout le génie de l'auteur des énigmes avait été de les inscrire dans cette référence au zen: ils ne signifiaient tout simplement RIEN. Et c'est alors qu'on trouvait la solution.

Jarod avait d'abord pensé à Y, le village de France au nom le plus court qui fût... apparemment. Il avait même été conforté dans cette direction par l'interprétation du poème "Voyelles" de Rimbaud: Le poète décline a, e, i, o, u, mais le "y" manque (de même que la couleur complémentaire orange). Il y avait d'ailleurs rencontré Foxy, qui estimait que c'était l'un des lieux qui faisaient partie du jeu (Foxy était d'ailleurs aussi passé à Orange pour les mêmes raisons). Mais Jarod avait finalement abandonné cette piste lorsqu'il avait découvert qu'il existait un village au nom encore plus radicalement court.

"....." est un village qui figure sur toutes les cartes de France, mais il doit évidemment sa faible notoriété à ce qu'il s'y lit comme un blanc sur le papier. Pour le tourisme, ce n'est pas terrible. Les gens n'y passent que par hasard, et quand ils avisent le panneau à l'entrée, ils pensent qu'il n'y a rien écrit, comme si on était en train de le repeindre, ou qu'on ait oublié d'achever les travaux de signalisation. Ceux qui s'y arrêtent comprennent parfois que ce non-nom est en fait bien le nom du village, mais pour des raisons aisément compréhensibles, après en être repartis, ils ont du mal à se souvenir de ce toponyme pourtant original. "....." est en effet pratiquement homonyme d'un non-souvenir. Ceux qui pensent à le noter dans leur agenda ont ensuite du mal à retrouver cette note.

Le village n'a donc rien pour attirer les touristes, mais c'est, on l'aura deviné, un lieu chargé de sens pour des chasseurs de trésor. Son nom est blanc comme la chouette blanche sur fond blanc de la "B". Et, bien entendu, il est confirmé par le fait qu'il est crypté quelque part dans le livre.

Et pas au prix de quelque interprétation délirante: quand on découvre cela, sa présence devient criarde partout dans les textes, entre les mots et entre les lignes.

Un sourire conquérant aux lèvres, Jarod fit avancer son véhicule dans le village. Tout semblait calme. Désert, même. Il se gara sur la place et descendit de voiture.

S'occuper du boulanger en tout premier lieu. Une chose était d'avoir découvert cette piste. Une autre était de s'assurer qu'elle restât secrète. Les daboïstes avaient démontré qu'une fois une zone découverte, on pouvait y rester six ans sans rien trouver. Jarod risquait de rester longtemps dans ce village, même s'il était sûr de l'endroit: il avait la zone, mais il ne savait pas encore où était la cache. Le boulanger était l'un des fils à dénouer, mais il y en aurait peut-être d'autres. Il fallait s'assurer qu'une fois qu'il aurait parlé, il saurait rester discret si d'autres chercheurs venaient à marcher sur ses traces. Discret... définitivement.

Jarod passa derrière la voiture, jeta un coup d'œil circulaire sur la place toujours déserte, et sortit du coffre une batte de base-ball modèle "ball killer" en duralumin renforcé. Il ajusta la lanière de cuir à son poignet et, ayant refermé le coffre, se dirigea vers la boulangerie en sifflotant, de l'air nonchalant du type qui se promène par là avec une batte de base-ball et se dit qu'il mangerait bien un croissant.

Il poussa la porte vitrée du magasin, qui signala son arrivée par un petit tintement de carillon.

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