Le trio sortit de la boulangerie pour se rendre compte que la place était désormais fréquentée, mais plutôt mal.

Une demi-douzaine de motos, une limousine et une camionnette, toutes semblablement noires étaient disposées en demi-cercle face à eux. Les carrosseries sombres et les chromes, d'une propreté clinique, luisaient d'un éclat menaçant. Sur les motos, des types en combinaisons de cuir noir les observaient d'un air inexpressif, leurs yeux cachés derrière des lunettes à verres fumés. Un peu en avant du groupe, un personnage qui semblait en être le chef, pareillement vêtu et lunetté de nuit, un long manteau anthracite jeté sur les épaules, se tenait debout, dos au soleil, les jambes droites légèrement écartées. Son sourire seul semblait luire dans un visage que le contre-jour maintenait dans l'ombre. Un sourire léger, professionnel.

- Zut, dit Patrice. L'équipe d'Exocet. Pour une fois que nous étions les premiers, ça n'a pas duré longtemps.

- Eh oui, concéda le personnage. Vous n'imaginiez tout de même pas que nous allions laisser une bande de toquards mettre la main sur la chouette avant nous, non ?

- Comment avez-vous su, pour le boulanger ?

- Nous avions nos informateurs, rétorqua Exocet, dont le sourire, sans que le reste du visage en fût modifié, s'élargit dangereusement, passant du professionnel au franchement malsain.

Tout en gardant le regard fixé sur le trio, il claqua des doigts. Les portes arrières de la camionnette s'ouvrirent et deux men in black de l'équipe d'Exocet en sortirent, traînant un paquet de chiffons sanguinolants, que le trio, au fur et à mesure que l'équipage approchait, reconnut pour être Gai-Luron. Ou plutôt, les principaux morceaux encore solidaires les uns des autres d'une épave que la rigueur eût imposé de rebaptiser Triste-Luron. Il avait manifestement fait l'objet de sévices impliquant une gamme variée d'instruments non homologués par la convention de Genève. A moitié comateux, il balbutiait encore entre ses lèvres tuméfiées: "Je cale en Bourges... Je cale..."

- Voyez-vous, reprit Exocet, votre ami a commis l'erreur de manifester sur le forum ses compétences en décryptage d'anagrammes et de calembours à la Maurice Biraud. Il ne nous a pas fallu longtemps pour le convaincre de nous faire bénéficier de ses informations. "Or caché sous le borgne" comme anagramme de "boulanger Cocherosse". Ca, c'est très fort.

- Vous l'avez torturé !

- Ecoutez, commenta Exocet d'un air détaché, il faut en finir avec ces chasses au trésor menées avec des moyens artisanaux. Cela fait six ans que Fumax nous mène en bateau. Vous n'arriverez jamais à trouver la Chouette avec votre philosophie baba-cool, vos dictionnaires et vos boussoles. L'heure a sonné pour les spécialistes dotés d'une organisation, de moyens modernes et d'une éthique adaptée.

Puis, regardant ailleurs, comme s'il se désintéressait de la question :

- Bon, assez discuté. Messieurs, je vous prie de me livrer les informations que vous a communiquées Cocherosse, et de déguerpir. Vous pourrez emmener votre copain. Il laisse des taches là où il passe et je ne tiens pas à salir ma camionnette plus qu'il n'est nécessaire.

- Nous n'avons pas vu Cocherosse. La boulangerie était vide et nous sortions boire un coup au bistro.

Jarod se rendit compte que sa réponse, quoique exacte, manquait de crédibilité dans la situation présene. Exocet examina ses doigts manucurés d'un air désolé.

- Vous me décevez, Messieurs. Je me permets d'insister, car il serait dommage que nous nous quittions sur une note de désaccord qui aurait un caractère irréversible. Pour vous.

Le trio, se préparant à en découdre, brandit, qui sa batte de base-ball, qui son manche de pioche.

Exocet et ses associés dégainèrent de leurs poches revolver et des étuis fixés aux motos un assortiment de Magnum, Python, fusils à pompe et Kalachnikov qui laissèrent augurer une négociation difficile.

Les trois chercheurs commençaient à reconnaître les limites de leurs moyens effectivement artisanaux. Ils jetèrent un coup d'oeil en arrière, vers la boulangerie qui semblait la seule issue libre d'accès. Finalement, l'option A qui consistait à attendre le boulanger dans la boutique avait eu ses charmes. Jarod exposa succinctement un plan d'action :

- On se barre d'ici !

Ils se précipitèrent vers la boulangerie, tandis qu'Exocet et ses hommes levaient leurs armes.

- Eh! dit Maverick en courant, on dirait qu'il y a du monde dans la boutique.

- On n'a pas le temps de choisir une autre solution. Entre !

Ils poussèrent la porte à la volée, le carillon annonçant leur arrivée, et se jetèrent à l'intérieur.

Note de Mickey : cet épisode de "Signet Fumax" est répertorié sur le forum sous le numéro 5887.