SIGNET FUMAX


SIGNET FUMAX

(26)

La salle plongée dans la pénombre bruissait du ronronnement des ordinateurs branchés en permanence. Au centre, le GRAAL 666 semblait remplir l'espace de sa masse sombre. Les clignotements muets des voyants éclairaient de lueurs fantomatiques la silhouette monstrueusement difforme de l'opérateur. Celui-ci pressa un bouton sans dévier d'un pouce (l'index était rongé par une arthrose galopante), et tourna un visage lépreux et couturé vers la forme allongée sur le fauteuil, d'où émergeaient des dizaines de câbles. Les néons s'allumèrent, éclairant la salle d'une lumière crue. Sur le fauteuil, Fumax ouvrit les yeux, et se redressa. Il débrancha le câble qui lui sortait de la nuque par un implant.

Le monstre se déplaça vers lui, soulevant péniblement son pied bot, sa bosse tanguant au rythme chaloupé de sa démarche. La créature semblait avoir été conçue de brics et de brocs acquis à bon marché dans des films d'horreur sans rapports les uns avec les autres par un démiurge dopé aux hallucinogènes.

- Ça s'est bien passé, Maître ?

- Comme d'habitude, mon bon IgoRR, répondit Fumax, avec un accent russe un peu exagéré.

- Andros, Maître. Pas Igor. Andros.

- Oui, mon bon AndRRos, paRRdonne-moi, mais les accents que je pRRends ont toujouRRs des effets secondaiRRes. Et les RRetours de la MatRRice cRRéent des effets de décalage sensoRRiels.

Le Maître me les gonfle, ces temps-ci, se dit Andros en se palpant les lobes des oreilles (qui lui servaient d'organes reproducteurs, depuis une intervention malheureuse de chirurgie esthétique par le même démiurge). Fumax, habitué par une pratique quotidienne du minitel à communiquer en majuscules sans accent, se rattrapait dans le privé en prenant des accents diversement théâtraux qui seyaient à son personnage. Cette coquetterie avait le don d'agacer Andros, qui, lui, préférait communiquer en majuscules tout le temps, même quand ce n'était pas nécessaire.

- Il faudrait surveiller Finn et Jarod, Maître. A force de raisonner à tort et à travers, ils effleurent constamment la vérité et provoquent des surtensions dans la Matrice.

Fumax s'approcha de la baie vitrée. Dehors, le spectacle était toujours identique à lui-même. Sous des nuages sombres d'orage magnétique qu'aucun soleil ne venait jamais plus percer depuis la Grande Catastrophe, s'étendaient à perte de vue les alignements de sarcophages hérissés de câbles et de tuyaux. Les éclairs silencieux dans les nuées éclairaient par intermittence les formes métalliques sombres des Sentinelles qui surveillaient l'alimentation des cuves. La vitre de chaque cercueil lais-sait entrevoir le visage pâle d'un chercheur, les yeux fermés sur un rêve d'éternité.

- Je sais, AndRRos. Mais la "lumièRRe qui éteint" ne s'alimente qu'à l'éneRRgie de l'imagination des cheRRcheuRRs. Et celle-ci doit RRester libRRe, au RRisque du paRRadoxe de découvRRiRR son pRRopRRe fonctionnement.

Il se tourna vers Andros.

- Ne me dis pas que tu t'en plains. ApRRès tout, tu pRRofites aussi de tes escapades dans le RRêve collectif des chasseuRRs de tRRésor. J'ai vu que tu as essayé de t'intRRoduiRRe dans cette fRRateRRnité stupide que ceRRtains ont tenté de cRRéer.

- C'est vrai, Maître, admit Andros. Quoique, à ce sujet, vous auriez tout de même pu programmer l'ordinateur pour que j'y aie un physique un peu plus attirant que celui d'un nain. Je commence à en avoir marre de me faire marcher dessus.

- Nous ne sommes pas maîtRRes du RRêve conceRRté des sujets bRRanchés sur la MatRRice, AndRRos. L'image que tu pRRoduis dans la RRepRRésentation collective des cheRRcheurs ne peut pas êtRRe plus avenante que tes pRRopres pensées. Sois content qu'ils ignoRRent que tu es plus contRRefait en RRéalité que ce qu'ils imaginent.

- Hmmmf, fit Andros, qui, à court d'arguments, revint à des considérations plus pratiques. N'empêche qu'on risque de nouveau d'avoir un bug avec ceux qui pensent "de trop près".

- Ze n'est pas graFe, répondit Fumax en changeant brusquement d'accent pour passer à son personnage préféré, le type du savant fou allemand.

Nous aFons touCHours les moyens dé rémettre les compteurs à Séro. N'est-Ze-Bas, mon cher Hans ?

- Andros, Maître. Pas Hans. Andros.

Note de Mickey : cet épisode de "Signet Fumax" est répertorié sur le forum sous le numéro 6211.

Jarod a écrit deux fins pour ce feuilleton : la fin dont chacun rêve et la fin dont tout le monde rêve.

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