SIGNET FUMAX


SIGNET FUMAX

(1679)

ANNO AETATIS SUAE MMMMMMMM (et pulveres)

1679ème épisode

(Suite du 1662ème épisode).

Saroumane gravissait la pente à grand pas, comme si la déclivité était incapable de lui opposer les lois de la gravité. Sous la voûte des arbres millénaires, la magie des jours anciens où Numénor étendait encore sa main puissante sur les Terres du Milieu s'emparait à nouveau de lui.

A un détour du sentier, une échancrure dans la végétation laissa apparaître le Village en forme de X en contrebas, comme un morceau de cette réalité qu'il avait abandonnée il y avait des mois, il y avait des heures, il y avait de cela quelques instants, pour le havre de la Grande Forêt où le conduisait sa Quête. Ses pouvoirs d'empathie lui permettaient de deviner, comme la présence d'une fourmilière, la fébrilité des chercheurs qui réfléchissaient, discutaient, creusaient.

Il passa sa main dans sa blanche chevelure dont les mèches lui tombait sur les épaules et en retira des tessons de tuile. Maintenant que le Pouvoir lui revenait, se dit-il, il devrait faire attention aux risques d'effets secondaires.

Au-delà du Village, Saroumane apercevait l'horizon, assombri comme par une promesse d'orage. Mordor étendait son Ombre à l'entour. Et ici, de même, à mesure qu'il s'éloignait de l'Auberge du Dernier Pont, le couvert des arbres commençait à se confondre avec une pénombre dans laquelle le Vieux Magicien percevait les relents du Maléfice.

Que ces fous cherchent donc, si le cœur leur en dit. Il avait rendez-vous au cœur de Mère Nature, car telle était bien la Destination dont l'instruisait le Livre.

Saroumane connaissait la Forêt qui encercle le Rocher au dessus du Village. Pour celui qui était pénétré de la Connaissance des Choses Anciennes, la Forêt apparaissait sous son jour vrai, bien plus vivante qu'elle ne paraît au commun des mortels. Ici, les arbres vous observaient. Et les arbres n'aiment pas les étrangers.

Saroumane percevait les pensées étranges nées du coeur des chênes, des saules, des sapins : des pensées souvent noires, emplies de la haine pour les êtres sans racines qui vont et viennent librement sur la terre, bêchant, pelletant, creusant, rebouchant et recreusant. La Forêt était ancienne, survivante de vastes forêts oubliées, et en son sein vivaient encore, sans vieillir davantage que la Terre elle-même, les pères des pères d'arbres, qui se souvenaient du temps où ils étaient seigneurs. Les siècles les avaient emplis de sagesse enracinée, mais aussi de malveillance. Le jour, ils se contentaient d'observer. A l'occasion, ils pouvaient faire tomber une branche, vous faire butter sur une racine, ou vous retenir d'une longue plante rampante. Mais quand l'obscurité dessinait un contour de nuit, comme à présent, les événements pouvaient prendre un tour plus alarmant.

Les arbres semblaient se murmurer les uns aux autres, se passant des nouvelles ou tramant des complots en un langage inintelligible. Et les branches donnaient l'impression de ne faire que semblant de se balancer, tâtonnant en fait, cherchant à agripper l'intrus qui s'aventurait ainsi en ces lieux.
Mais... ?
N'était-ce pas un mouvement que, du coin de l'œil, Saroumane venait de percevoir près de ce tilleul ? Il se précipita vers l'endroit, fit le tour de l'arbre. Il n'y avait rien. Pas de signe de fuite non plus sous le couvert de la végétation proche.

Saroumane se gratta le menton, perplexe. Il sentait une présence, qui n'était pas végétale. Mais il savait aussi que ses pouvoirs pouvaient paradoxalement fausser ses perceptions. Ses longues périodes d'absence du forum étaient motivées par des séjours épisodiques dans des établissements spécialisés où il avait régulièrement du mal à convaincre des guérisseurs vêtus de blanc du bien fondé de ses visions eschatologiques. Depuis qu'il avait cessé de prendre ses granulés, ses pouvoirs étaient revenus, certes, mais aussi ces étranges visions dans lesquelles une souris de dessin animé à grandes oreilles parcourait la Forêt à la recherche du même trésor que lui.

Il aurait été dommageable qu'à ce stade de sa Quête, Saroumane le Grand, Saroumane le Multicolore, se fît doubler par quelque petit malin qui se serait contenté de le suivre discrètement dans la Forêt.
Il reprit son chemin, les sens désormais aux aguets.

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