SIGNET FUMAX


SIGNET FUMAX

(1690)

O TEMPORA, O MORES !

1690ème épisode

(Suite du 1662ème épisode).

Profitant de la confusion générale qui régnait à l'auberge, Fafnir faisait discrètement le tour des tables en vidant les fonds de verres, tout en se livrant à un étrange examen de divers supports qu'il trouvait sous les verres. Superficiellement, il donnait l'impression nonchalante du type qui fait semblant de lire un bloc-notes en sirotant un broc. Un premier examen attentif, qui débouchait inéluctablement sur le constat que le bloc-notes n'était qu'un rond de bière, permettait au premier venu de se dire que la lecture du rond de bière n'était qu'un prétexte pour siffler un maximum de bière dans les verres des autres sans être remarqué. Il aurait fallu l'oeil exercé d'un employé du MI5 ou de la CIA pour se rendre compte que c'était au contraire l'absorption de bière (en quantité trop déraisonnable pour être naturelle) qui était le réel prétexte visant à camoufler l'examen quasi clinique auquel procédait Fafnir de la collection complète des ronds de bière de l'auberge.

Après avoir éclusé 47 ou 74 fonds de verre (il ne savait plus trop dans quel sens, ou inversement, il avait commencé le tour des tables), il sembla trouver ce qu'il cherchait et fourra discrètement un des ronds de bière dans sa poche, vérifia d'un regard circulaire que personne n'avait noté son geste, puis alla décrocher son pardessus au portemanteau. Il l'enfila, releva le col, se coiffa d'un chapeau mou à large bord, sortit de sa poche une paire de lunettes de soleil qu'il s'ajusta sur le nez, et, ainsi vêtu d'une tenue qui signalait distinctement à tout le monde son intention de voir son anonymat respecté, il passa derrière le groupe des chercheurs rassemblés autour du spectacle qu'offrait Papymax tentant d'arracher à Alric les plaques de fonte de la cheminée. Il entra dans la cuisine, se faufila le long des fours et des étagères, pénétra dans une remise, d'où il sortit par une lucarne dans une venelle adjacente à l'auberge. De là, il regagna la place du village, dont il fit le tour en restant dans l'ombre des maisons, puis disparut dans une des rues qui s'en éloignait (où y débouchait, selon le point de vue).

Un peu plus tard, Fafnir pénétrait (par la porte) dans une pièce presque vide et sans décoration, située à un étage indéterminé d'un quelconque bâtiment désaffecté du village. Au milieu de la pièce nue, trônait seul un ordinateur sur une table. Un siège dactylo à roulettes était placé devant l'écran éteint. Fafnir ferma la porte, ôta ses lunettes de soleil et alla s'asseoir. Il alluma l'ordinateur, sortit de sa poche le rond de bière, qu'il introduisit dans le lecteur de CD-ROM.

Le logo de l'Agence s'afficha à l'écran, rapidement remplacé par une série de fenêtres qui s'ouvrirent les unes après les autres sur des séries de tableaux et graphiques, reproductions de spirales de différents types, cartes IGN au 1/25000ème de différents "points chauds" de la chasse au trésor, photographies et renseignements sur les chasseurs tirés des banques de données de Piblo, etc. La qualité n'était pas extraordinaire, et de temps à autres, des données étaient masquées par des taches de bière et de mayonnaise, mais l'ensemble était correct. Dans le même temps, une voix posée s'adressait à lui :

— Bonjour, Monsieur Phaphnir. Nous espérons que vous vous êtes bien remis de votre dernière mission avec Monsieur Schtroumpf Mathématicien. Veuillez nous excuser pour la qualité des images, mais nous n'avons trouvé que la filière des ronds de bière pour pouvoir communiquer avec vous sur des supports dont le turn-over soit suffisamment rapide dans la communauté des chasseurs, et la technologie de gravage sur CD-ROM en carton n'est pas encore au point.

Fafnir n'était pas mécontent du pseudonyme discret qu'il avait choisi pour l'exécution des missions que l'Agence avaient commencé à lui confier, depuis que Monsieur Phelps leur avait fait faux bond, sa couverture sur Fumaxval ayant été grillée.
L'écran montrait une photo de Fumax, vu de dos : l'un de ses passages à la télévision. La voix enchaînait :

— Monsieur Phaphnir, nos services nous ont rapporté l'information suivant laquelle Fumax, le trafiquant d'âmes bien connu, serait en train d'étendre à de nouvelles tranches de population ses opérations de séduction visant à capter les intelligences dans le dispositif de la Chouette d'Or. Il est manifeste que l'appétit de Fumax ne connaît plus de limites et qu'il s'attaque désormais même aux adolescents mineurs et aux vieillards.

L'écran proposa des images d'une chasse au trésor parue dans un magazine de vulgarisation scientifique pour la jeunesse. Fafnir frissonna à l'annonce de cette nouvelle inquiétante.

— Les dossiers médicaux dont nous disposons sur les disparus appartenant au troisième âge semblent d'ailleurs montrer que Fumax ne fait pas le difficile, et que même des chercheurs psycho- ou neurologiquement atteints sont désormais acceptés dans le "Jeu" pour lequel au départ il ne sélectionnait que les plus sagaces. Le champ d'entropie de la "lumière-qui-éteint" semble avoir encore augmenté, et les besoins de la Matrice se feraient plus pressants, et donc moins sélectifs.

Fafnir accusa le coup. L'Agence avait choisi d'utiliser le nom de code "Jeu" pour désigner le dispositif de la Matrice. La terminologie désignait là, bien sûr, le "je" de Fumax, c'est-à-dire son ego connecté à la Matrice, et dont la boulimie narcissique se nourrissait du rêve partagé des chasseurs de trésor. Le "Jeu" devient donc bien trop facile, se dit Fafnir pour lui-même. Serions-nous proche de la fin de la partie ?

— Votre mission, Monsieur Phaphnir, si toutefois vous l'accepter, est de retrouver les jeunes disparus de la "Victoria" qui se sont laissés happer par la chasse à la Chouette, de les libérer, et de mettre un terme à la filière pédophile du trafiquant d'âme. Faites particulièrement attention à un certain nombre d'adultes corrompus par leur dépendance à la chasse, qui sont des courroies de transmission de cette filière et dont certains, derrière des discours onctueux, sont de dangereux pervers.

Les dossiers de Patrice, Hiram et plusieurs autres chercheurs défilèrent à l'écran. Un certain Sidney se signalait par l'absence d'informations précises le concernant, hormis ses contacts réguliers avec une organisation appelée "le Centre".

— Bien entendu, si vous deviez être découvert ou éliminé au cours de cette mission, l'Agence nierait vous l'avoir confiée et déclarerait tout ignorer de votre existence et de vos activités...

Le pied contre la table, dépliant la jambe, Fafnir repoussa le siège à roulettes sur lequel il était assis, s'écartant ainsi de plusieurs mètres de l'ordinateur, jusqu'à venir s'adosser contre le mur opposé. Les types de l'Agence étaient de plus en plus paranos sur cette affaire Fumax. La dernière fois, le procédé d'autodestruction du rond de bière avait fait exploser l'écran cathodique.

— ... le bâtiment dans lequel se trouve cet ordinateur s'autodétruira dans quinze secondes.

— Oh ! Les cons ! s'exclama Fafnir en se ruant vers la porte.

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