SIGNET FUMAX


SIGNET FUMAX

(1725)

OMNE TULIT PUNCTUM,
QUI MISCUIT UTILE DULCI

1725ème épisode

(Suite du 1662ème épisode).

L'auberge de la Chouette Écarlate était ouverte non-stop. On serait tenté de dire : 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, si l'assertion avait pu être confirmée par l'achèvement d'au moins une journée, mais enfin, bon, vous connaissez le problème. Pol Wens, que ses fonctions d'animateur dans la communauté des chouetteurs avait dès le départ désigné pour prendre naturellement cette place, officiait donc constamment derrière le comptoir. Ce qu'il finissait par trouver un peu monotone, car le spectacle des échanges entre ses collègues chasseurs de chouette avait quelque chose d'un peu répétitif. Circulaire, pour être précis.

Certes, il ne s'était jamais signalé sur le forum par des contributions mettant en avant des théories aussi originales qu'incontrôlables, ni même par des interventions sibyllines du type "Je vous en parle mais je ne peux rien vous en dire". Ce qui le disqualifiait a priori comme candidat au statut de chercheur digne de ce nom. Mais cette différence même faisait son originalité et le prédestinait à prendre de la hauteur et à occuper une position de leader au sein de la communauté.
(Jarod, de son côté, insistait assez lourdement dans ses écrits sur ce destin hors du commun, histoire de se faire bien voir de Pol Wens pour la promotion de ses productions littéraires. Par exemple, Pol Wens n'avait pas trop apprécié un épisode de la première saison dans lequel Jarod l'avait vêtu d'un complet, certes coloré, mais d'un goût un peu limite. Dans cette épisode-ci, par conséquent, il portait avec distinction un complet de flanelle écru taillé assez large de manière à mettre en valeur sa silhouette athlétique. Seule concession à l'extravagance, une épingle de cravate en argent présentant un boustrophédon finement ciselé, et dans la tête de laquelle était sertie un petit éclat de rubis en forme de tête de chouette, fixait une cravate beige clair sur une chemise sobrement blanche. Pol Wens devait cependant admettre qu'un bleu de travail aurait été plus pratique pour tirer les caisses de bières depuis la réserve.)

Bien que la taverne fût généralement animée par l'esprit bon enfant d'un éternel "happy hour" que semblait ne jamais devoir interrompre un jour l'exclamation "last orders !", Pol Wens arrivait tout de même à profiter des épisodes du roman tournés en extérieur pour imposer une sorte de période de fermeture. Cela ne durait jamais longtemps, car les chouetteurs avaient rapidement pour réaction quasi congénitale de revenir pour chercher l'ouverture.
Présentement, ayant réussi à passer à Alric une camisole de force et l'ayant fait sortir, il profitait d'un de ces moments où le lecteur est égaré dans l'une des autres pages du récit pour s'entretenir de projets ambitieux avec un autre personnage que ses déconvenues de la première saison avaient mûri : Exocet était sur la même longueur d'onde que Pol Wens. Une longueur d'onde qui faisait resplendir leurs sourires et briller leurs yeux : les chiffres que nos deux amis alignaient sur une nappe en papier comportaient trop de zéros pour être des nanomètres.

— Résumons, dit Polo. Nous sommes tous coincés ici pour un bon bout de temps.

— Ouais, approuva Exocet. Au moins pour le reste de la journée.

— D'un autre côté, j'ai fait une petite étude de marché : segmentation par sexe, tranches d'âge, CSP, étude des habitus, motivations, comportements d'achat, tout le tremblement, je te passe les détails. Alors, voilà : nous avons un coeur de cible bien gras et bien identifié. Ce sont des hommes en majorité, mais souvent assistés par leurs compagnes. Ils ont 32,3 ans en moyenne, avec un étalement de la courbe de Gauss...

— OK, OK, l'interrompit Exocet. De toutes façons, dans leur tête, ce sont des ados contrariés qui achètent Sciences et Vie Junior, même quand ils ont 70 ans. Ils réinvestissent une libido refoulée dans la recherche d'un succédané du phallus paternel.

Pol Wens considéra Exocet avec une admiration non déguisée. Celui-ci fit un geste de la main, comme pour balayer modestement un compliment muet :

— J'ai lu un article sur la psychanalyse dans un numéro de Pif Gadget, expliqua-t-il. Revenons à l'essentiel.

— Oui, tu as raison. Ce qui compte, c'est qu'ils sont d'un bon niveau culturel, ils s'ennuient un peu dans la vie parce qu'ils rêvaient d'être Tintin, Bruce Lee ou Gengis Khan, mais que la Nation n'a pas voulu d'eux parce qu'ils faisaient 0,1 à chaque oeil (note qu'il est de pires aveugles...). Ils recherchent des loisirs qui proposent un challenge à leur intelligence et ont des revenus qui leur permettent de les payer...

— En général, fit Exocet, avec une petite moue qui exprimait une réserve.

— En général, oui, admit Pol Wens.

Ils observèrent quelques secondes d'une rêverie silencieuse.

— Jarod t'a encore demandé de lui prêter du blé ? demanda Polo.

— Oui. C'est un peu agaçant. Et je parie que de ton côté son ardoise s'allonge ?

— Pour ça, je n'ai plus de place pour y inscrire les chiffres à la craie. Quand je pense à elle, j'ai l'impression d'avoir Albion dans le dos. Peut-être qu'il s'en sortirait mieux s'il ne consacrait pas tout ce temps à écrire ces conneries qui nous prennent la tête.

Exocet revint sur le sujet :

— Bon. Donc, on a la clientèle. Et en plus, si je puis dire, c'est une clientèle captive. Elle ne peut pas s'échapper et elle n'a rien d'autre à faire qu'à chercher des trésors.

— Donc, continua Polo, on va lui organiser une chasse au trésor.

— Excellent, dit Exocet. Tu fournis le cadre et le matos, et je fournis l'équipe logistique. Qu'est-ce qu'on met comme trésor ?

— Oh, peu importe. La quincaillerie du village regorge de tout un tas de trucs, dont on pourra remplir un coffre : des pioches, des boussoles, des chouettes en plastique. J'ai même trouvé une tête de bélier empaillée et une météorite décorative qui peut servir de presse-papiers. De toutes façons, ils sont tellement habitués à ne rien trouver depuis sept ans, que l'heureux inventeur sera tout heureux d'ouvrir le coffre, quel que soit son contenu.

— En plus, j'ai un concept béton. On va faire comme Fumax, mais en plus subtil. Dans notre chasse, quelqu'un arrive tout de même à trouver le trésor, assez rapidement. Disons, en moins d'une journée.

— Ouais, dit Polo, un peu dubitatif. Une chasse courte. Tu me diras, j'en connais des longues qui se déroule aussi sur une journée. Au dernier décompte, la Chouette, ça lui fait quand même des plombes de sept mois. Si je vais aux toilettes et que je te dis que j'en ai pour cinq minutes, si je ne suis pas de retour au bout d'une semaine, tu as le droit de te dire que j'ai une méchante gastro'.

— Mais l'astuce, poursuivit Exocet, c'est qu'on organise la chasse à tour de rôle, et c'est l'autre qui trouve le trésor. Comme ça, ça reste une chasse entre copains, et le trésor reste à l'intérieur du cercle.

— Ce qui compte, c'est le petit "plus" original : organiser un repas et faire deviner aux participants où il aura lieu.

— Ça, c'est géant ! Un jeu de piste, qu'on appellerait... attends, je cherche quelque chose d'un peu "marketing"... Qu'est-ce que tu dirais de "Houkonmange" ?

— Oui, ça sonne bien, approuva Polo. Et pour les énigmes, tu as une idée ?

— Ouaiouaiouais... dit Exocet, en se penchant vers Pol Wens, sur le ton de la confidence. J'ai même une idée qui va nous permettre de faire durer cette chasse suffisamment longtemps pour que les chercheurs deviennent accro, et que, de ton côté, tu ne sois pas à la bourre pour préparer ton repas.

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